everyday's st patrick's day (niamh)

La mission était simple : trouver de quoi boire et de quoi grignoter pour ce soir. La psychiatre ne se doutait de rien. Elle ne savait même pas que je connaissais la date de son anniversaire. Si les gens savaient ce que je faisais il ne comprendrait rien. Pour eux, j’étais un dangereux meurtrier, je n’avais pas d’amis et encore moins de coeur. Mais avec Niamh c’était différent. Pour moi elle n’était pas comme les autres. Niamh ne me prenait pas pour un dingue mais pour un être humain. Aussi étrange que cela puisse paraître. Il fut une époque où ma tête passait sur tous les écrans de télévisions, dans tous les journaux. On ne me nommait que rarement, préférant l'appellation de “monstre”. Et c’était ce que j’étais. Je faisais peur à tout le monde ici, ce qui ne me déplaisait pas tant que ça. Mais Niamh elle n’avait pas peur. Elle n’avait visiblement peur de rien et c’était peut-être ça le vrai danger. Je m’étais pris d’affection pour elle, comme elle s’était prise d’affection pour moi. C’était étrange et dangereux du point de vue des autres, mais ce qu’ils ne savaient pas c’est que jamais je ne ferais de mal à Niamh. Mais qu’eux, n’avaient pas intérêt à en faire.

Le seul mal que j’allais lui faire, c’était la frayeur qu’elle allait avoir en me trouvant dans sa chambre. Ce n’était pas la première fois que je l’y attendais, c’était même plutôt fréquent mais cette fois, contrairement à d’habitude je n’allais pas être sagement assis sur le lit en train de reluquer le soutien-gorge qu’elle aurait laissé traîner sur sa chaise. C’était son anniversaire et je me devais de marquer le coup. Surtout que l’année passée, nous n’avions pas réellement eu l’occasion de nous voir si souvent. Alors c’était également l’occasion de rattraper le temps perdu.

De la bière piqué dans la chambre d’un garde, une bouteille de whisky dans le bureau d’un psychologue. De quoi grignoter dans la salle de pause du personnel. Un muffin dans la cachette d’une infirmière boulimique et j’avais même réussi à trouver une petite bougie, déjà à moitié brûlée. Comme quoi, certains anniversaires se fêtent encore. J’avais pris soin de vérifier l’emploi du temps de l’irlandaise afin d’aller dans sa chambre quand elle ne serait pas là.

Et encore une fois, c’était beaucoup trop facile de se glisser dans l’aile des membres du personnel. Bon Dieu, à quoi servent les gardes si un fou furieux comme moi peut se balader comme il veut ? Mais c’était toujours discrètement, les mains pleine de victuailles que je me glissais dans la chambre de mon amie. Je posais tout sur le bureau qui se trouvait dans un coin. Elle ne devrait pas tarder. Vraiment pas en fait, car à peine avais-je tout poser que j’entendais déjà des pas -les siens- dans le couloir. Attrapant deux bières, je me mettais en place et quand la jeune femme ouvrit la porte… “JOYEUX ANNIVERSAIRE !!!”

La surprise avait eut l’effet voulu. Niamh cria de peur avant de me dire d’aller me faire foutre, avec son accent irlandais bien prononcé. Je ne m’énervais pas mais riais, comme à chaque fois que j’entendais son accent. “Wow, quel accent sexy !” Je lui souriais alors qu’elle s’excusait pour sa grossièreté, ajoutant que je lui avait fait peur.  “Bah oui, c’était le but.”, dis-je en haussant les épaules alors qu’elle faisait mine de me faire la tête. Je la connaissais assez bien pour dire qu’elle faisait semblant. Elle n’arrivait tout simplement pas à me faire la gueule. La preuve, il ne s’était même pas passé une minute qu’elle sautillait déjà comme une enfant, un énorme sourire aux lèvres avant de se retrouver dans mes bras. Je la serrais en souriant. Geste que je n’avais jamais envers les autres personnes. Les autres, si je les serrais de cette façon c’était plutôt pour tenter de les étrangler. Mais Niamh je ne pourrais jamais lui faire de mal. Et je ne laisserais jamais personne lui en faire. Elle me remercie, me relâche. Son “mais” ne présageait rien de bon. La connaissant j’allais avoir le droit à une morale à la O’Callaghan. Mais c’était juste une question. Légitime d’ailleurs. Je souriais. “Oh tu sais… j’ai mes sources…” Et mes sources c’était moi, qui allait un peu fouiller partout dans cet hôpital. Dans l’ordinateur de la secrétaire par exemple.
Elle prit une des bières de ma main, visiblement ravie que j’ai enfreins des centaines de règles pour préparer tout ça. En tant normal elle m’aurait fait la leçon, je la connaissais. Mais apparemment ce soir c’était le cadet de ses soucis et elle préférait passer outre. Je souriais. “Oh t’inquiètes… J’ai juste dû tuer une petite dizaine de personne qui me barrait la route.” J’éclatais de rire en voyant sa tête. D’accord. Vu mon passif ce n’était peut-être pas la blague à faire. Mais c’était toujours un réel plaisir de voir la tête des gens. “On se calme… Personne n’est mort. Enfin peut-être Green… Il dort tellement profondément sur sa chaise que j’ai pas réussi à savoir si il était encore vivant.” avouais-je en m'affalant sur son lit comme à mon habitude. Je buvais une gorgée de bière et souriait. “Alors ? Ca fait quoi d’avoir soixante douze ans ?”

“Bien sûr que je suis content de moi ! Pourquoi je ne le serais pas ?” demandais-je avec un magnifique sourire sur les lèvres. J’adorais embêter Niamh. C’était littéralement devenue une passion et je ne m’en lassais pas. Alors que même l’Irlandaise était plus jeune que moi. D’une année seulement, mais j’étais quand même mal placé pour faire ce genre de blague, non ? Et puis je me doutais que pour certains, des personnes comme Niamh, fêter un anniversaire entre ces murs n’étaient pas forcément très drôle. De mon côté je m’en foutais un peu. Je n’avais pas fêté mon anniversaire depuis des années et cela ne me manquait pas. Pour moi c’était juste devenu une année de plus entre ces murs.

"Et toi alors ? The big 30, tu le vis bien ?" J’aurais dû m’en douter. Elle était certainement tout aussi curieuse que moi, et en plus étant psychologue elle n’avait à enfreindre aucunes règles pour trouver ce genre d’information. “Alors là je…” Mais elle ne me laissa pas continuer, posant sa bière avant d’ouvrir son placard et d’en sortir un paquet. Il n’avait même pas eu à parler pour me clouer le bec. Son seul sourire malicieux avait réussi à m’intriguer. Alors qu’elle me tendait le paquet, j’haussais un sourcil encore plus curieux. Qu’avait-elle bien pu préparer. Mais finalement, alors qu’elle me souhaitait un joyeux anniversaire, vieux croûton ! je souriais. Comme un gamin à qui on venait d’offrir un cadeau. Je commençais à le déballer avant de m’arrêter. “Avant toute chose, sache que je n’ai pas trente ans. J’en ai vingt-cinq avec cinq années d’expérience supplémentaires. C’est totalement différent !” Je hochais légèrement la tête, tentant vraiment de la convaincre.

Je reprends mon ouverture de cadeau, tel un enfant. Mon sourire s’agrandit encore plus lorsque je vis ce qui était à l’intérieur du paquet. Cigarettes, bonbons et une bouteille de whisky irlandais. Absolument tout ce que j’aimais en ce bas monde. “Niamh ? Tu sais que tu es la meilleure hein ?” Je savais que ce n’était pas la meilleure idée que de lui lancer des fleurs. Mais je le pensais vraiment. Mon premier cadeau depuis des années et elle avait tapé dans le mille. Je souriais et l’embrassa sur la joue. “Merci beaucoup, Irish girl…” Au fond, ça me touchait plus que je ne l'avouerais jamais. Et au fond, je savais que Niamh était au courant. Mais avant qu’elle ne puisse dire quelque chose, je prenais ma bière et la lui présentais pour trinquer. “A mes vingt-cinq ans et tes soixante-douze !”

L’irlandaise était tout de même pleine de surprise. Il fallait l’avouer, je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait préparé de son côté. Voilà pourquoi j’étais vraiment, vraiment surpris. Et… heureux ? Heureux que quelqu’un pense à moi le jour de mon anniversaire que je fêtais dans ce trou à rats depuis quelques années déjà. J’étais touché par ce geste mais je ne l’avouerais pas. Niamh était certainement la seule à me traiter comme un humain. Un être humain normal et pas un être dangereux ayant organisé une tuerie dans un centre commercial (même si c’était réellement ce que j’étais). Et même si je n’arriverais jamais à me débarrasser de ma vraie nature avec Niamh je voulais essayer. Essayer d’être justement, un peu plus humain. Et puis moi aussi je me doutais au fond que pour elle ce n’était pas non plus très drôle de fêter son anniversaire ici. Surtout qu’elle, elle devait avoir une famille quelque part, en Irlande. Alors peut-être que je pouvais être sa famille ici. On avait tous un mauvais côté de la famille, non ?

Elle avait pensé à mon anniversaire comme j’avais pensé au sien, même si ce n’était pas grand chose, avouons le. On ne pouvait pas réellement organiser de grandes fêtes ici, faire de cadeaux beaux mais souvent inutiles. Ici les fêtes étaient plutôt clandestines et les cadeaux qu’on se faisait étaient utiles à notre survie. Et puis contrairement à ce qu’elle affirmait, je n’avais pas vraiment trente ans. Et ce n’était pas son éclat de rire et sa moue voulant clairement dire ”mais bien sûr…” qui allait me faire dire le contraire. On disait bien que l’âge c’était dans la tête, non ? En tout cas le cadeau de l’Irlandaise me touchait réellement. Ma Irish Girl avait tapé dans le mille et même si je ne l’avouerais jamais, j’appréciais vraiment son geste qu’aucune autre personne n’avait fait pour moi avant. Même avant Ostrov, les fêtes d’anniversaires avaient été très rares. J’embrassais et remerciais mon amie, ajoutant même qu’elle était la meilleure. Et non, je n’en avais jamais douté.

Je portais un toast avec l’irlandaise avant de finir ma première bière. J’en prenais une autre, et déjà j’espérais que j’en avais volé assez pour la soirée. Au pire il y avait toujours la bouteille de whisky que j’avais volé dans le bureau d’un psychologue. Et si vraiment… on entamerait celle que Niamh m’avait offerte. Je m’asseyais à nouveau sur son lit face à elle. "On devrait jouer à un jeu. Tu connais l'Irish roulette ?" L’Irish quoi ? Je n’avais aucune idée de ce que c’était, mais je n’avais aucun doute sur le fait que la psychologue allait m’apprendre ce que c’était. Je secouais la tête de gauche à droite, “Non, du tout mais je sens que tu vas m’apprendre ça vite fait.” Je buvais une gorgée de bière avant de sourire. “Si c’est comme la Russian roulette on risque d’avoir de gros problème Niamh…”

Fêter son anniversaire à Ostrov c’était quelque chose. Quelque chose d’exotique ? Ah oui, pour sûr ça n’avait rien de normal. Mais ce n’était absolument pas cool, ni même quelque chose de fun. Les patients n’avaient absolument pas le droit à un traitement de faveur, même pas à un petit gâteau, ou même un présent… Rien. Nada. Mais finalement ça ne devait pas être beaucoup plus drôle pour les membres du personnel. A moins que certains, ceux peut-être qui avaient réellement tisser des liens entre eux, organisaient des petites fêtes, peut-être elles aussi clandestines. De mon côté, j’innovais. J’organisais des fêtes illégales entre psychiatre et patient. Et si je me faisais attrapé, hors de mon aile de fous à lier, j’étais cuit. Même bien cramé. Mais j’étais, enfin j’espérais être plus malin qu’eux. Et si j’avais réussi à fuir ma piaule, voler toutes ces choses et me faufiler dans la chambre de l’Irlandaise, peut-être qu’ils devraient songer à m’engager en tant que garde à la place de certains idiots qu’ils avaient choisi.

Mais au moins je faisais quelque chose. Car s’il y avait bien une personne ici qui méritait de fêter son anniversaire c’était Niamh O’Callaghan.

L’Irlandaise me propose un jeu de son pays, que je ne connais pas. L’Irish Roulette. La seule roulette que je connaissais c’était la russe, et si c’était le même genre de jeu alors là on aurait de très gros problème. Mais Niamh me rassurait, me disant qu’aucun Irlandais ne mourrait à ce jeu là. Je souriais. “Aucun Malrow non plus alors…” Je n’étais pas Irlandais mais je n’avais pas à me plaindre concernant ma capacité à tenir l’alcool. Elle sort deux dés et les agite devant moi. Cette fille attisait de plus en plus ma curiosité. J’en connaissais des jeux d’alcool mais aucun qui se jouaient avec des dés. J’écoutais ses explications qui en effet, étaient très simples. Et oui, ça pouvait être drôle. Surtout après quelques cul sec… “Compris chef !”, acquiesçais-je en souriant et en attrapant le dé qu’elle me lançait. Elle me rejoint sur le lit et je me tournais légèrement pour lui faire face. “J’ai jamais été aussi prêt Irish Girl.” Nous lançons nos dés en même temps et… Un six pour elle, alors que je fais un trois. Je regardais le résultat, un sourire aux lèvres. ”Ca commence bien…” J’attrapais ma bière et en buvais une gorgée. Attrapant à nouveau mon dé je le lançais encore une fois en même temps que Niamh, très impatient de découvrir le résultat.

Était-ce réellement une bonne idée cette soirée clandestine ? Non, pas vraiment. Mais nous nous en rendrons compte bien trop tard. Après un échange de cadeau plus que parfait (le premier cadeau que j’avais eu depuis des années, en plus), l’Irlandaise avait proposé de faire un jeu. La roulette irlandaise, qu’elle disait. Apparemment bien différente de la roulette russe, tout aussi amusante et beaucoup moins dangereuse. Heureusement d'ailleurs, car même moi je ne voudrais pas voir l'état des gardes s' ils commençaient à entendre des coups de feu dans cette chambre. La si douce et pure psychologue O'Callaghan s'amusait à tirer au hasard avec l'un des pires patients de l'hôpital. Alors même elle avait finir par devenir folle, la pauvre. Et si il la croyait folle, elle aurait le même traitement que moi. Et ça même sans roulette russe… Par chance je ne m'étais pas fait prendre en venant ici. Maintenant on doit garder cette chance et ne pas se faire prendre ensemble dans cette chambre. À boire, à jouer et surtout… s'amuser. Au premier coup et je perdais déjà (enfin perdre dans ce jeu était un bien grand mot quand on était là pour boire…). Mais apparemment la chance du débutant n’était pas avec moi.

Le jeu a duré un petit (long) moment au vu des cadavres sur le sol. La bière y était totalement passée et le whisky que l’irlandaise m’avait offert n’allait plus faire long feu… Nous n’avions même pas bu juste pour boire entre amis. Le jeu nous avait fait quasiment tout descendre. Mais là, nous marquions tous les deux une petite pause. J’avais l’impression de pouvoir sentir tout l’alcool passant dans mes veines. Le regard dans le vide, j’essayais de me souvenir quand c'était la dernière fois que j’avais ressenti ça. La dernière fois que j’avais tellement bu que je ne savais plus quoi faire ensuite. Mais je me sentais bien. Comme je ne m’étais jamais senti ici.

J'éclate de rire en entendant mon amie déclarer qu’elle était bourrée. Ca je l’avais bien remarqué et elle n’était pas la seule à l’être. Un sourire en coin sur les lèvres, je déclarais : “Eh Niamh… tu sais quoi…?” je marquais une pause avant de continuer en éclatant une nouvelle fois de rire “Moi aussi !” Un nouveau silence s’installe dans la pièce, alors que Niamh et moi étions réellement dans nos pensées. Je n’arrivais réellement pas à me souvenir de la dernière soirée comme celle-ci à laquelle j’avais eu droit. J’avais l’impression d’être ici depuis toujours tellement le temps était au ralentit entre ces murs. Mais là, j’étais bien. Tellement bien que lorsque Niamh vient se blottir contre moi, je passe mon bras autour d’elle, dans un réflexe tout à fait naturel. Je tourne la tête vers elle pour la regarder alors qu’elle me remercie. Je lui souriais. Un sourire sincère comme j’en faisais rarement ici. “C’est toi que je dois remercier Niamh… pas l’inverse…” Car toi tu ne me prenais pas pour un fou à lier et que j’avais vraiment l’impression d’être normal avec toi. Un être humain comme on en voyait tant.

Mes yeux restent plantés dans les siens, et une nouvelle fois personne ne parle. Elle est toujours contre moi, et si quelqu’un entrait maintenant, il pourrait directement penser que notre relation était plus qu’une simple relation entre un patient et une psychologue… Mais il n’en était rien, Niamh était juste Niamh à mes yeux, non ? Je ne savais plus, j’étais beaucoup trop saoul pour penser correctement. Et c’était tout aussi naturellement que mon bras s’était mis autour de mes épaules, que mes lèvres touchaient désormais les siennes...