Parfois on ne peut pas aider les gens. Parfois il vaut même mieux ne pas essayer.
i'm not mad, my reality is just different from yours...
« Moi plus tard je serais psychiatre comme mon papa ! ». Toute personne ayant séjourné chez les Vespucci avait obligatoirement entendue cette phrase. Et le même schéma s’ensuivait à chaque fois : on riait puis on tapotait affectueusement le sommet du crâne de l’enfant qui avait prononcé cette tirade avec une fougue comparable au rugissement d’un lion. L’enfance de Nirina Vespucci pouvait se résumer ainsi, si jeune et déjà ambitieuse. Car l’ambition est la clé du succès.
La famille Vespucci avait réussi à se tailler un nom dans le monde de la psychiatrie : son père était le directeur du pôle psychiatrique à l’hôpital Vincenzo Chiarugi de Florence, tandis que sa mère écrivait des articles sur le psychisme humain dans des revues scientifiques. Fille unique et avec un tel patrimoine parental, l’avenir de Nirina était condamné dès sa naissance. Et pour cause, tels des horlogers, ses parents avaient minutieusement réglés leur fille afin qu’elle soit en mesure de prendre la relève à leurs morts. Afin que le nom Vespucci ne s’éteigne pas, afin que ce nom puisse continuer à briller et à être cité lorsqu’on parlait des grands psychiatres ayant foulés cette terre. Et Nirina l’accepta, mieux, elle s’en fit un défi personnel.
Durant son adolescence, la famille de Nirina dut déménager pour se rendre en Angleterre. Son père avait reçu une lettre du célèbre institut psychiatrique Fulbourn près de Cambridge. L’ancien directeur ayant pris sa retraite, c’est à lui que revint la proposition d’en devenir le nouveau dirigeant, une demande qu’on ne pouvait pas refuser. Tout était déjà écrit d’avance et rien n’aurait dû enrailler la machine si bien mise en route. Enfin c’est ce qui était prévu…
2 février 2001 :
" _Mademoiselle pourriez-vous me décrire le physique de cet individu? Les habits qu’il portait ?
Nirina ne répondit pas immédiatement au policier, elle se demandait si l’homme en question était sain et sauf, peut-être avait-il besoin d’aide ?
_ Vas-tu répondre à la question ! Vociféra sa mère.
_ Cet homme a un nom marmonna-t-elle entre ses dents, il s’appelle Bill.
Le policier commença à s’impatienter, il leva les yeux au ciel avant de choisir ses mots avec soins.
_ Ecoutez je sais que vous pensiez au mieux, mais vous devez avoir conscience qu’on n’invite pas un inconnu chez soi, surtout un sans abris…
_ MAIS IL MOURRAIT DE FROID ! Il avait besoin d’aide, de MON aide ! Je voulais juste qu’il vienne à la maison pour prendre un repas chaud.
S’en eut assez pour la mère, elle se leva du canapé, fonça sur sa fille tel un faucon piquant vers sa proie, ses doigts s’enfonçant dans les épaules de Nirina, pareils à des serres se frayant un chemin dans la chair animale.
_ Tu as fait entrer un mendiant dans notre maison et par ta bêtise il a profité que tu avais le dos tourné pour partir avec nos bijoux et notre argent, te rends tu compte de ton inconscience idiote que tu es !"
Nirina se contenait pour ne pas hurler sa rage d’être incomprise, comment pouvait-on lui en vouloir alors qu’elle avait simplement voulu aider une personne dans le besoin ? Son père lui se tenait droit devant la fenêtre, le dos tourné vers le massacre verbal qui se déroulait derrière lui. Rien ne permettait de deviner l’expression affichée sur son visage.Après cet incident, plus rien ne fut pareil. L’ambition de Nirina avait mué en autre chose, un besoin irrésistible de secourir ceux qui avaient besoin d’elle. Une amie s’était disputée avec son petit ami ? Elle accourait chez le copain en question pour le convaincre de s’excuser. Elle gagnait le droit de choisir une peluche à la fête foraine ? Elle prenait la plus hideuse, celle que personne d’autre ne prendrait afin que cette peluche ne soit pas malheureuse d’être délaissée pour sa laideur. Une autre fois, en voyant une femme ivre se traîner par terre dans la rue, Nirina tenta de la relever pour l’amener dans un centre d’alcooliques anonymes. Ce n’est que lorsque la femme lui hurla de la laisser tranquille et tenta de la frapper qu’elle dût renoncer.
Cela avait atteint de telles proportions que son père n’eut d’autres choix que de la faire suivre par un de ses confrères psychanalystes. Le résultat était tombé : syndrome du sauveur. Après de longues et coûteuses thérapies, Nirina avait finalement réussi à contenir cette envie irrépressible de reconnaissance en aidant les autres.
Le temps passant, elle avait réussi à intégrer une fac de médecine. Ses parents jubilaient d’avance, ils savaient que ce n’était qu’une question de temps avant que leur progéniture ne devienne elle-même une psychiatre de renom. Mais une nouvelle fois, un obstacle vint se mettre en travers de leurs chemins menant au glorieux héritage Vespucci. Après trois années d’échecs et de déboires, Nirina fut contrainte d’abandonner les études de médecine et donc sa prétention à devenir une grande psychiatre. La nouvelle était tombée comme un couperet, pire qu’un désenchantement c’était un cauchemar. Mais la famille se releva très vite, il en fallait plus pour abattre la notoriété Vespucci. C’est pourquoi Nirina reprit ses études pour devenir cette fois psychologue.
Psychiatre, psychologue, qu’importe pourvu qu’elle ne jette pas l’opprobre sur notre famille, se disait son père.
N’importe quelle personne, de son regard extérieur, aurait compris qu’elle n’était pas faite pour cette voie, alors pourquoi s’y obstiner ? Tout simplement parce qu’un nom doit laisser des traces après notre passage sur Terre. Mais peut-on réellement blâmer les Vespucci pour avoir tué dans l’œuf toutes autres formes d’avenir pour leur enfant ? Inutile de se leurrer, toutes les familles qui ont acquis une once de puissance ou de renommée ont voulu laisser leurs marques à travers la gloire d’un nom. Mais cette fois aussi le parcours fut chaotique, Nirina crut bien ne jamais décrocher son diplôme de psychologue. Pour assurer la réussite de sa fille, son père n’avait pas hésité à faire pression sur le jury afin qu’elle obtienne son précieux sésame. Il est toujours intéressant de voir avec quelle facilité le monde s’agenouille à vos pieds pourvu que l’on soit une personne influente.
Une fois son diplôme en poche, Nirina commença sa carrière de psychologue dans une petite unité psychiatrique. Et c’est en voyant toutes ces personnes enfermées dans un monde qu’elles seules percevaient que les vieux démons de Nirina ressurgirent. Tous ces gens qui avaient sombré dans une folie qui les avaient happés comme une marée noire ne demandaient que son aide…
Pour commencer, on lui confia un premier patient. Il n’était pas dangereux et souffrait simplement de crises aiguës de claustrophobie. Mais il n’en était pas moins futé et il avait compris qu’il avait affaire à une bleue. Naïve de surcroit, donc facilement manipulable. De séances en séances, il s’était évertué à convaincre sa psychologue qu’il voulait prendre l’air, mais qu’il refusait de sortir avec les gardes qu’il jugeait violent et sans empathie. Non, il voulait y aller avec elle seule. Nirina voulait que son premier patient soit le début d’une longue carrière de succès et de réussite. Beaucoup de techniques thérapeutiques lui avaient été enseignées, mais elle avait jugée qu’aucune ne valait la peine qu’on s’y intéresse. Non il fallait voir plus grandiose. Peut-être que l’approche intime serait une bonne idée, être ami avec son patient pourrait le mettre en confiance et l’aider à vaincre sa peur de l’enfermement. Elle avait donc accepté. Alors qu’ils longeaient un parterre de fleurs, Nirina aperçu un magnifique rosier blanc, elle s’en approcha pour en humer le parfum. Et ce n’est qu’en se retournant pour inviter son patient à sentir les fleurs qu’elle s’aperçut qu’elle était seule… Aucune trace de son patient en vue. Fort heureusement on le retrouva deux jours plus tard, mais l’affaire fit grand bruit au sein de son unité psychiatrique. Son père dut user de toute son influence pour étouffer l’affaire.
Nirina avait été obligée de revoir ses approches thérapeutiques et après ce premier échec cuisant elle était plus déterminé que jamais à aider ses autres patients. Finalement, on décida de lui accorder une seconde chance en lui confiant un second patient. Il avait fait plusieurs tentatives de suicides mais cette fois-ci Nirina savait ce qu’elle devait faire. Nouvelle approche expérimentale : la confrontation choc. Elle était persuadée qu’en forçant son patient à affronter ses problèmes, il pourrait comprendre d’où provenait sa souffrance. Ainsi la guérison serait possible, et elle pourrait enfin recevoir la gratitude qu’elle méritait tant.
29 décembre 2015 :
"_ Mr Cortez, nos séances s’accumulent et je ne vois toujours pas d’améliorations de votre côté. Pourtant vous savez que je ne cherche qu’à vous aider. Si seulement vous vouliez comprendre que le suicide n’est pas la solution…
_ Vous ne pouvez pas comprendre, vous ne savez pas ce que je vis tous les jours ! Pourquoi devrais-je supporter encore plus longtemps cette souffrance qui me tue chaque jour un peu plus ?
Cela faisait trop longtemps que son dossier restait bloqué, il était temps de passer à la vitesse supérieur. Il était temps de mettre en place la confrontation choc.
_ Mr Cortez, à mon avis vous ne pensez pas ce que vous dites et vous faites du cinéma. Une personne qui a 8 tentatives de suicide à son compte, c’est parce que c’est son seul moyen de crier à l’aide pour qu’on la remarque.
Nirina essaya de le dire avec une voix la plus douce possible, il ne fallait pas trop le brusquer. Lentement elle se leva de son bureau, se dirigea vers son placard et en sorti une corde. Le patient la regardait avec appréhension, ses mains tremblantes. Nirina plaça délicatement la corde sur son bureau.
_ Voilà ce qui va se passer Monsieur Cortez, vous allez fixer cette corde et réfléchir à tous les beaux moments qui ont jalonnés votre vie. Je veux que vous compreniez que la vie vaut la peine d’être vécu et que cette corde représente une facilité illusoire. Je vous promet que je vais vous aider à vous en sortir. Je vous laisse 5 minutes le temps d’aller chercher un café."
Elle sortie du bureau, referma la porte et se dirigea vers le distributeur près de l’entrée du bâtiment. Après avoir commandé sa boisson, elle reparti et ouvrit la porte de son bureau…
Si une personne était passée devant ce bureau, elle aurait d’abord été interpellée par une mare de café s’écoulant vers le hall, tel un ruisseau paisible se frayant son chemin. Puis elle aurait aperçu une silhouette féminine se tenant dans l’embrasure de la porte, stoïque comme une statue figée dans le temps. Et ce n’est qu’en suivant la direction de son regard que cette personne aurait pu apercevoir le corps d’un homme, son visage bouffi et bleu, avec des yeux semblant vouloir exprimer un sentiment, mais lequel ? Et c’est en regardant de plus près que l’on aurait aperçu cet homme se balançant doucement, le cou étranglé par une corde elle-même reliée à un lustre…Encore une fois, le père de Nirina dut redoubler d’effort pour ne pas que l’on sache les véritables causes de la mort de Mr Cortez. Par chance il n’avait aucune famille et il était chez les fous. L’homme a toujours rejeté ce qu’il craignait et ce qu’il ne connaissait pas. On ne sait rien de la folie d’un homme et on la craint. Pourquoi donc se soucierait-on de la mort d’une personne rejetée du système ? Une personne qui en a été expulsée avant même d’y avoir été invitée. Voilà pourquoi dans le certificat de décès de ce pauvre homme, on pu lire en face de « cause du décès » la notification « inconnu ». Car après tout qui se soucierait du sors d’un fou ? Certainement pas l’opinion publique.
Mais pour le père se fut la goutte de trop, il ne pouvait pas continuer à couvrir les dégâts occasionnés par sa fille. Un jour où l’autre, le scandale finirait par ressortir si on la laissait faire tout ce qu’elle souhaitait. Et tout ceci viendrait éclabousser le nom et la notoriété qu’il avait consciencieusement bâtit toute sa vie durant. Non il fallait qu’il trouve un endroit d’où on n’entende jamais parler d’elle, qu’importent les pires bévues qu’elle pourrait y commettre. Il décida donc d’appeler le directeur d’Ostrov Island.
Lorsqu’elle aperçu la façade sinistre d’Ostrov Island, elle ne pût s’empêcher de reculer d’un pas. Ce n’était pas du tout la vision qu’elle s’était faite de son nouveau lieu de travail, cet endroit sordide était tout sauf ce à quoi elle aspirait.
« _Papa je ne suis pas sûr de vouloir y aller dit-elle d’un regard implorant, sa voix chevrotante. Malgré ses 31 ans révolus, elle ressemblait à une enfant effrayée le jour de la rentrée des classes.
Jusqu’à sa mort elle se souviendra du sourire que lui adressa son père, un sourire sans émotion.
_ Tu dois aller à Ostrov Island car ils ont besoin de toi, je sais que tu es destinée à accomplir de grandes choses. ».
Il l’embrassa sur le front, et reparti vers le ponton pour rejoindre les terres anglaises. Nirina ne vit jamais le rictus de haine déformant le visage de son père, ce rictus qu’il s’était toujours tenu de cacher en la présence de sa fille. Et jamais sa fille ne sut que son père l’avait punie pour ce qu’elle avait fait, ou plutôt ce qu’elle avait été incapable de faire : continuer à faire briller l'héritage qu'on lui avait donné. Et jamais il ne lui pardonnerait d’avoir été la cause de l’extinction de la grande famille Vespucci. Tout ce qu’elle vit fut une silhouette noire disparaître dans la brume. Lorsqu’elle s’aventura vers les imposants bâtiments elle prit une profonde respiration. Si son père disait qu’elle devait aller à Ostrov Island pour prouver à tous qu’elle était une psychologue compétente, c’est qu’il avait forcément raison. C’est pourquoi elle s’aventura dans l’allée de l’hôpital avec confiance.