1996. The othe side of paradise. Tes poumons luttaient encore et encore, mais l’air ne venait pas ; pas assez pour les remplir. Alors, tes petites jambes tremblantes s’effondraient sous toi, et tes propres sanglots t’emportaient.
Tu le savais, que ça ne ferait que rendre papa plus en colère. Tu le savais. Malheureusement, c’était plus fort que toi. C’était comme si c’était ton corps qui avait pris le dessus et qu’il luttait, là où ton esprit s’était résigné dès le début. Tu voulais lui obéir - tu n’y arrivais simplement pas. L’angoisse te paralysait et il n’y avait rien que tu parviennes à faire contre elle.
Ton père s’était mis à crier, comme tu t’y attendais. Il prenait probablement ça pour un caprice. Après tout, à six ans, ce n’était pas forcément surprenant ; mais ça lui importait peu. Lui vivant, jamais un stupide gamin ne ferait sa loi chez lui. Il en avait déjà eu quatre avant toi, on ne la lui faisait plus. Chez les Rhodes, ça filait droit ; pas d’excuses, pas d’exceptions. De toute façon, tu n’arrivais pas à expliquer ; à mettre des mots sur ce qu’il s’était passé là bas. Tu avais bien trop peur qu’il te dise que c’était de ta faute pour oser te confier à lui. Alors, il te tordit le bras pour te forcer à te relever et à avancer, te traînant jusqu’à l’autobus. Ronald t’y attendait. Ce n’était pas une surprise : c’était lui qui encadrait le week-end scouts de l’église depuis le début de l’année. Son regard glissa sur toi et ton père, un sourire carnassier collé aux lèvres ; avant d’enfoncer négligemment une pastille de vichy dans sa bouche.
Tu finiras par arriver à te convaincre que tes souvenirs diffus n’étaient que le fruit de ton imagination de gamin un peu perturbé. L’énurésie soudaine, les terreurs nocturnes, les crises d’angoisse récurrentes ?
Tu te conduis comme une fillette, Callahan - ce sera la conclusion de ton père, et comme chaque affirmation qui sortait de sa bouche, tu le croira sans broncher. L’esprit humain n’est-il pas fascinant ?
2010. Whatever doesn’t kill you is gonna leave a scarC’était la dernière fois de ta vie que tu serais capable d’entendre ce son - c’était Jack qui te l’avait dit. Alors tu ne luttais pas contre le sifflement qui continuait à te vriller le crâne ; ce n’était pas important. Il n’y avait plus grand chose qui soit important à cet instant, en fait. Vous étiez vivants. Tous. Ca s’était encore joué à peu : cinq mètres. Cinq putain de mètres, et c’étaient vous qui y passiez.
Tu ne sais pas si tu l’aurais supporté, que l’un de tes frères d’armes meurt à nouveau sous tes yeux. 2010 avait vraiment été une année maudite, pour les militaires de l’OTAN présents en Afghanistan. Les Canadiens avaient particulièrement morflé, mais le tribut que vous aviez payé jusque là était lourd également. Toujours trop lourd à vos yeux.
De tes doigts tremblants, tu attrapais la bière qu’on te tendait. La plupart d’entre vous arboraient un sourire, pourtant les images ne cessaient pas de tourner dans vos esprits. Une gamine. Il y avait une gamine, dans la voiture de civils qui avait eu le malheur de rouler cinq mètres devant vous. Une simple enfant dont la vie avait été réduite en éclats par cette saloperie de mine. Vous étiez vivants, oui - mais vous aviez échoués à protéger ces innocents.
C’est ce que vous essayiez d’oublier, tous, réunis autour de vos bières, des sourires vaillants accrochés à vos lèvres blêmes.
« Et toi, Rhodes ? Pourquoi t’as rejoins l’armée ? » Tes yeux croisèrent son regard, glissèrent vers le sol. Pour être honnête, tu te posais la question tous les jours. Tu avais toujours sur que tu n’étais pas fait pour ça. Oh, tu n’étais pas un mauvais soldat. Discipliné, en bonne santé physique, appliqué - tes supérieurs et tes camarades n’étaient pas mécontents de te compter dans leurs rangs. Tu n’en avais simplement pas le goût ; pas les tripes. Chaque vie que tu arrachais t’émiettait le coeur au passage. Peu importait le mal que pouvait avoir fait ta cible. Tu n’étais simplement pas fait pour ça. Ça commençait à te passer, avec le temps. Un jour, cela ne te ferait ni chaud ni froid, mais ce n’était pas vraiment l’important. Tu savais très bien pourquoi tu t’étais engagé : ton père. Tu avais voulu le rendre fier, lui montrer que tu n’étais pas l’incapable qu’il croyait. Alors, tu avais laissé tomber tes ambitions de reporter, et tu avais aveuglément suivi ses pas. Malheureusement, ça n’avait rien changé au dédain qu’il te portait.
Tu avalas une gorgée de ta bière, un rire amer effleurant tes lèvres.
« Défendre ma patrie, des conneries comme ça. »
2017. Don’t let them take the skin off your bones.La chaleur était étouffante ; l’air sec et électrique. C’était inhabituel, en Angleterre - et ça te rappelait désagréablement l’Afghanistan.
L'entraînement était terminé, tu t’apprêtais à aller prendre une douche dans tes quartiers ; mais les rires au plein milieu du camp avaient attirés ton attention. Toi, comme un con, tu étais allé voir.
Et ta gorge s’était serrée.
Les nouvelles recrues - des jeunes tout juste sortis de l’adolescence - étaient tous agenouillés en ligne, nus et vulnérables au milieu du reste de l’unité hilare. Ton coeur s’était alors emballé sous tes côtes. Passer ton chemin. Il fallait que tu passes ton chemin.
« Je croyais que les bizutages étaient interdits ? » Le major t’avait lancé un regard hautain, agacé par ta question.
« Ça va, on se marre, il leur faut bien un rite de passage à ces gamins. » Tes mâchoires s’étaient crispées. Tu aurais mieux fait de fermer ta gueule, tu le savais - mais c’était plus fort que toi.
« Lui il a pas l’air de se marrer…» Ton regard s’était posé sur l’un des jeunes qui luttait pour ravaler ses larmes d’humiliation.
« Je suis sérieux. Ça m’étonnerait que le maréchal soit ok avec ça vu le scandale que ça a fait il y a quelques années. » Soudainement, le major t’attrapa sur le col et tous les regards se tournèrent vers vous.
« Qu’est-ce qu’il y a Rhodes, tu veux y aller aussi ? C’est vrai que t’as jamais été bizuté, toi, mais il est pas trop tard... » Il attrapa la boucle de ta ceinture, te tirant vers lui.
« A poil, Rhodes. » Des rires résonnèrent dans le camp.
Tu ne sais pas dire ce qu’il s’est passé en toi - c’était comme s’il avait activé un interrupteur dont tu ignorais encore l’existence. La rage t’avait envahie, le sang qui coulait dans tes veines s’était mis à brûler. Tu l’avais attrapé par la gorge, le poussant violemment contre le mur avant de le mettre à terre, le rouant de coups de poing et de pied. Tu ne contrôlais plus rien. Tu voulais entendre le bruit de tes coups sur sa chair, sur ses os. Tu voulais qu'il te supplies d'arrêter, qu'il te promette de ne plus jamais reposer ses sales mains sur toi. Tu voulais juste le voir crever.
Vos camarades vous avaient séparés au moment où tu dégainais ton arme sur lui, tremblant de rage.
Tu n’avais pas eu de sanction disciplinaire ; on t’avais simplement “encouragé” à poser tes permissions quelques semaines. De peur, probablement, que tu parles à la presse, et qu’un nouveau scandale ne vienne secouer l’armée Britannique.
Et puis, quelques jours après ton retour au régiment, on t’avait simplement annoncé que tu partais en mission de renfort sur une île que tu apprendrais bien vite à détester ;
Ostrov Island.